Street photo et Cie. Site et forum sur la photo de rue.

Je l'ai croisé plusieurs fois dans ma carrière. Un de ces personnages qu'on ne peut oublier. Petit gars de province un peu 'prolo', un peu fauché, ne faisant rien pour être ce qu'il n'était pas dans ce milieu plaqué or et argent du show business.
Un mec gentil, un peu timide, un peu perdu, qu'on s'attendrait plutôt à trouver, éméché à crédit, dans un bar du milieu de la nuit. Un mec un peu désespéré, probablement d'avoir si peu d'égo, si peu de confiance en lui, si peu de satisfaction de lui-même.
Un peu, ou beaucoup ?
Un mec hurlant de vérité, dans la vie comme sur scène.
Quand il n'était pas sur scène, il avait toujours l'air de s'excuser d'être là. Quand il était sur scène, perdu dans la musique, rien ne comptait d'autre pour lui.
 
Pantin désarticulé derrière son micro, ne maîtrisant plus ses gestes, et mal son équilibre, il plongeait corps et âme dans le plus profond de ce qu'on peut exprimer dans une chanson. Si le mot 'groove' a eu un jour un sens, c'est lui qui l'a inventé. Si le mot Freaks a eu un jour un sens, c'est lui qui l'a inventé.

Ce n'était pas le plus grand des chanteurs, il n'a jamais tenté d'être 'grand'. Ce n'était pas une star, plutôt un de ces astéroïdes un peu biscornus qu'on peut, rarement, croiser dans l'espace et qui ne ressemblent à aucun autre.
Il ne chantait pas pour les foules, il chantait pour chacun des gens qui voulaient l'écouter. Un par un. Ou peut-être même ne chantait-il que pour lui, pour trouver quelque chose qu'il était seul à chercher et nous l'offrir ?

Voila, il est parti et je m’aperçois, à mon chagrin, que je l'aimais terriblement. Comme on aime un de ces personnages étranges, qu'on croise le soir dans son quartier, qui font parfois la manche et parfois vous donnent un petit quelque chose qu'ils ont trouvé, qui compte pour eux, et qu'on jette parce qu'on ne savait pas encore qu'on en avait besoin.
Un de ces voisins mal rasés, mal sapés, qu'on ne connait pas, mais avec qui on a échangé tant de regards qu'ils font partie de nos paysages intimes et que leur absence creuse un vide énorme, et un curieux sentiment, un peu honteux, d'avoir raté quelque chose en gardant ses distances.

Il avait un jumeau en France, qui nous a quitté de la même façon, avec, lui aussi, un courage de cheval: Alain Bashung. J'espère qu'ils se croiseront quelque part et pourront boire des coups ensemble, dans un paradis ou la gueule de bois n'existe pas, ou l'ivresse est éternelle, et ou l'on peut chanter sans perdre son souffle et sans avoir à tirer, derrière soi, un orchestre qui peut peser si lourd.

https://www.youtube.com/watch?v=PoGIDHv4oEw#t=63